Ibn Malik Ibn Rushd (Ligue Ludothèque-texte 1)

[Julburz]

(à l'instar de Crad le Barbare je place ici les textes d'ambiance que j'ai réalisé dans le cadre de la Ligue de la Ludothèque, les écrits de Bebert entourant son histoire étant accessible dans le topic dédié dans Rencarts ludiques)

L'éclair de chaleur apparut dans le lointain, en limite de la ligne d'horizon, éclairant le spectacle déchiqueté du paysage torturé.

Le genou au sol, tapi sur lui-même, le Prince observait attentivement la ligne d'orage qui semblait glisser vers lui. Ses hommes silencieux et fatigués attendaient quelques pas en arrière un signe de sa part.

Ramassant une poignée de sable noirâtre de sa main gantée, il laissa glisser un mince filet les yeux perdus dans le vague.

"Maudit, maudit sois-tu...."

Un rictus déforma lentement le visage cruel du leader musulman alors que lui revenait les paroles du vieux sorcier mourant.

Chassant la pensée de son esprit, Tarik se releva lentement et balaya du regard le paysage au dessous de la crête basaltique sur laquelle ils se tenaient.

La vague les avaient frappés traitreusement à la vitesse d'un cheval au galop. Alors que l'Ange mortificateur menait ses Démons à leur rencontre, le flot noir furieux avait brisé sa compagnie.

Comme dans un cauchemar, Tarik se souvint de ce moment d'épouvante absolu, coulant à pic, les poumons pleins de l'eau maudite, alors que la lumière disparaissait dans un nuage rouge sombre.

Lorsqu'il était revenu à la conscience, une douce main lui caressait le front et le visage parfait de Fatina avait lentement percé les ombres qui le baignait. Elle semblait lui murmurer des paroles hors du champ de son audition.

Il gisait dans une demi-eau au bord de la grève. Le fleuve l'avait rejeté.

Pour cette fois.

"L'eau sombre te submergera et tu expieras tes Péchés, fils de Malik..."

De la sueur glacée glissa le long de son échine alors que la scène ressurgissait et s'imposait au Prince.

Jetant un oeil rapide pour s'assurer que personne ne notait cet instant de faiblesse, son regard s'attarda un instant sur les formes voluptueuses de la Houri en retrait.

Il humecta ses lèvres désséchées tout en songeant qu'il l'écraserait bien sur sa couche une fois l'expédition terminée.

L'expédition...

Lorsque Leyla lui avait indiqué le vol du Livre et la nécessité de le retrouver, Tarik n'avait eu cure de son désir. S'il était là c'était pour étancher son besoin effréné du combat mais aussi pour rappeler tous ces autres mollahs à son bon souvenir, qu'il fallait compter avec lui au fur et à mesure que les mortels pénétraient plus avant dans les cercles infernaux.

Mais il fallait bien avouer que les choses ne se passaient pas au mieux.

Les veines gonflées de colère,Tarik s'obligea à inspirer profondément pour se calmer. Plus haut dans le ciel, son aigle planait en tournant sur lui-même, cherchant un signe de vie dans le paysage vide.

Il devait bien reconnaître qu'il n'était là que parce que les autres fers de lance sarrasins, lancés à pleine vitesse vers les mines du mystérieux Gaspard, étaient plus acérés que le sien. L'Emir Nazir était particulièrement actif et il semblait bien que c'était ses troupes qui taillaient la route, à son grand dam.

Plus grave, les orientaux de Xeti étaient sur leurs talons et il croyait déjà sentir le souffle chaud de l'Esclavagiste sur sa nuque...

Ce n'était plus une expédition c'était dorénavant une traque impitoyable, et Tarik n'aimait guère être le gibier.

Il fallait trouver un passage et recoller au plus vite les troupes de l'Emir sinon cette affaire allait mal tourner. D'ailleurs il semblait bien que la colonne musulmane était trop étirée aux yeux de stratège de Tarik. Nazir prenait trop de risques et il était maintenant isolé en pointe. Il pouvait le payer très cher.

Le Prince ne voulait pas regarder le fleuve qui coulait à un kilomètre de là et même ses hommes le remarquaient. Une sourde rumeur courait sur cette malédiction qui courait sur son compte, et qu'il avait contracté il y a maintes années, au fond du Soudan.

Lors du mattage de la rébellion des tribus de cette partie du Califat d'Egypte, il avait été envoyé pour réprimer un des instigateurs du mouvement. L'homme était vieux et terrifiant. C'était un sorcier accompli-disait-on-et il connaissait les anciens rituels magiques de l'aube du monde, de la lointaine Ninive elle-même.

Tarik était jeune à cette époque, et il se moquait bien de ces superstitions. Il les avaient rattrapé sur le rift en bord du désert et la boucherie s'était longuement prolongée, le sable et la roche semblaient boire sans répit le sang ami et ennemi. Il avait finalement terrassé le sorcier, mais celui-ci, le ventre ouvert jusqu'à l'aine, avait réussi à prononcer, au travers de l'écume rosâtre que crachait sa bouche torturée, ces mots qui ressurgissaient dans sa mémoire :

"Maudit, maudit sois-tu....l'eau sombre te submergera et tu expieras tes Péchés, fils de Malik...sur les berges d'un autre monde la noirceur de ton âme te dévorera."

Depuis deux jours il se maintenait le plus loin possible du Foly, mais cette fois, le seul chemin qui s'offrait à eux passait au bord de l'ondée.

Réprimant un frisson, Tarik Ibn Malik Ibn Rushd donna l'ordre de départ.

Ni homme ni démon ne l'arrêterait.

Seul l'Enfer le pouvait.