Nouvelle : l'armée de terre cuite

Il y a très longtemps, l’Empereur Qin fit bâtir un immense tombeau dans lequel il fit installer tout ce qui lui serait utile dans l’au-delà. Serviteurs, jardins, animaux de compagnie, et une armée de 6 000 soldats de terre cuite attendaient l’empereur pour le servir dans l’autre monde.
Dès son décès, l’Empereur, et sa suite de terre cuite (il y avait aussi quelques chevaux et quelques épouse sacrifiées) s’en furent en Enfer. En effet, quelles que furent ses réalisations (c’est lui aussi qui termina la Grande Muraille), elles ne pesaient rien au regard des milliers de paysans morts pour elles, et qui encombraient maintenant les chambres des supplices de Yanluowang !
Aujourd’hui l’empereur Qin expie ses fautes dans la trente septième chambres des supplices où il doit bâtir un tombeau pour chaque homme mort pendant la construction du sien. Autant dire qu’il en a encore pour quelques siècles de travail !
Mais sa garde personnelle en terre cuite est toujours là, immobile et inutile comme une truelle dans un service à thé.

Han Zao cultivait sa terre, comme tous les autres jours. Ce jour-là, parce qu’il avait le dos courbé vers le sol boueux de la rizière, il ne vit pas la fumée qui venait du village. Parce qu’il s’appliquait à planter le riz à distances régulières, il n’entendit pas le galop des chevaux Mongols, ni ne sentit leur odeur. Quand il releva la tête, il était trop tard, le cavalier des steppes, était trop près, trop rapide. Rejoint dans sa fuite désespérée, la dernière vision de Han Zao fut celle de ses pieds, lorsque sa tête arriva à leur hauteur.

L’armée de terre cuite était là alignée dans la cour du Palais de Yanluowang. Les sentinelles avaient beau faire l’armée attendait son maître. Yanluowang aurait pu d’un souffle réduire cette armée en poussière, mais il s’y refusait, il avait de grand projets pour elle. Un seigneur de guerre doit savoir utiliser au mieux tous les alliés qui se présentent.

Lorsque Han Zao ouvrit les yeux, il vit l’armure rutilante surmontée de la tête de batracien d’une sentinelle impériale. D’un ton bourru, la sentinelle donna l’ordre à Han Zao de ramasser sa tête et de le suivre pour son jugement. Durant le trajet, Han Zao essaya plusieurs fois de remettre sa tête sur ses épaules, mais celle-ci refusait catégoriquement de tenir en place. A chaque fois elle tombait et roulait au sol, s’abîmant un peu plus à chaque chute.
Han Zao et la sentinelle arrivèrent finalement à la ville. Ils se rendirent directement dans une grande cour carrée ceinte de hauts murs. Dans cette cour des centaines de damnés attendaient leur jugement. Ils formaient d’interminables files qui finissaient toutes devant une table derrière laquelle se trouvait un petit homme aux longues moustaches, drapé dans la robe d’un juge. A chaque fois qu’un damné se présentait, le juge tirait d’une manche un rouleau, le déroulait et prenait connaissance des fautes du damné, ensuite il prononçait le jugement et le damné était emmené vers la chambre des supplices qui lui était assignée.

Yanluowang, le sage, contemplait songeusement son armée immobile. A quoi peut bien servir une armée immobile ? A effrayer l’ennemi, certes, mais la ruse serait vite éventée et de peu d’utilité ! Cette armée, il fallait la faire bouger, manœuvrer, charger, se battre comme une véritable armée au service de Diyu. Yanluowang d’un battement de cil, feuilletait le livre des secrets, cherchant à donner vie à l’armée de terre cuite. Un sourire finit par illuminer sa face.

Lorsque son tour arriva, Han Zao voulu saluer le juge comme il convient, en posant son poing gauche dans la paume de sa main droite. Chose aisée en temps normal, mais particulièrement difficile quand on tient sa tête dans ses mains. Le juge ne sembla pas porter attention aux efforts de Han Zao. Il salua brièvement Han Zao « Bonjours, je suis le juge Ti » Il tira un nouveau rouleau de sa manche et le déroula. Il leva un sourcil en direction de Han Zao. « Je ne vois rien d’écrit sur ce rouleau ! Tu as eu une vie exemplaire, trop vite abrégée, sûrement une erreur administrative, tu n’aurais pas dû paraître devant moi avant plusieurs décennies. Etant donné ta vie irréprochable, je t’offre la possibilité de servir l’Empereur pour l’éternité. Accepte-tu ? » Han Zao se doutait bien qu’un refus,même des plus polis et des plus circonstanciés aurait pour conséquence un séjour prolongé dans une des nombreuses chambres des supplices. Il s’empressa donc d’acquiescer un hochement de tête…en inclinant les mains.
Aussitôt, une sorte de lézard à quatre pattes coiffé d’un chapeau sortit de dessous la table. Il s’arrêta aux pieds de Han Zao et les deux disparurent dans un nuage de fumée.

Han Zao se réveilla sa tête tenait fermement sur ses épaules, dans ses mains de terre cuite, il tenait une hallebarde de bronze. Tout autour de lui, d’autres guerriers de terre cuite s’éveillaient. Ils étaient des milliers, en rangs, devant eux se tenait Yanluowang en personne, souriant !

D’une pensée, Yanluowang convoqua un de ses ministres. « Fais le tour des chambres des supplices et retrouves moi les artisans qui ont fait ces guerriers. Je veux qu’ils m’en fassent d’autres ». Le ministre s’inclina respectueusement et s’empressa de courir vers les chambres des supplices.